Seule dans le grand cirque de Troumouse, j’ai tenté une échappée, traversé le torrent,
atteint le petit lac et photographié le ciel. J’ai ignoré les bouses des vaches éparpillées sur
l’estive en troupeaux gris et beiges, j’ai suivi l’ombre mouvante des nuages sur la prairie.
J’ai entendu les voix des touristes échangeant dans leurs langues respectives… et je
suis finalement arrivée à bout de souffle aux pieds de la madone : de jeunes ados faisaient là un
concours de lancer de pierres avec force rires et bourrades.
J’étais bien sur ce petit sommet à peine éventé par une brise légère : j’ai capté l’énergie
du ciel et de la terre, solaire et tellurique, spirituelle aussi par la grâce de Marie, évoquée ici
bien avant moi par d’autres frères humains.
C’est alors que dans un silence momentané j’ai entendu une petite voix monter du
sentier :
« Moi, si petite et si fragile au milieu de mes mille sœurs, je suis née ici sur l’estive de
Troumouse, au bord de ce sentier et vois depuis le printemps passer les troupeaux sonores. Je
frissonne parfois sous les brises rases mais ce que je crains le plus, ce sont les grosses
averses qui me noient et me flétrissent.
Certaines de mes compagnes ont déjà pâti du passage des mois et je sais que nos jours
à toutes sont comptés. Nous sommes trop près du chemin et souffrons de l’échappée des gaz
du tracteur et de la cavalcade des touristes qui descendent du petit train. Je vis dans
l’appréhension des petits humains si prompts à vouloir nous cueillir pour offrir un bouquet de
souvenirs à leur génitrice.
Si j’étais orchidée, sans doute que je serais plus fière ou j’aurais pu aussi naître fuchsia
dans un jardin, lilas dans un parc des villes. Les humains qui nous ont étudiées et cataloguées,
comme seuls les humains savent le faire, nous ont étiquetées rhododendrons des montagnes.
Et puisque la belle nature s’est vu domestiquer, je rêve que dans une prochaine vie, je naîtrai
dans la plaine et que je serai soignée comme une vraie décorative, avec l’amour d’un jardinier.
En attendant, je remercie la madone de m’avoir permis de goûter au grand air des
montagnes ».
Élisabeth L, Écrire en Pyrénées (juillet 2024)
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