Cromlech envoûté
La pluie fine réveille les odeurs de la lande : le frais parfum de la lavande se mêle à celui du thym tandis que les herbes desséchées par la canicule récente apportent leur senteur forte de végétal en décomposition.
Le long du chemin des écorces brunes font surgir des images inquiétantes d’écailles épaisses de je ne sais quel animal fabuleux. Mon esprit vagabonde tandis que je poursuis ma marche sur un sentier agréable et doux sous mes pas.
Vieilles comme les pierres, mes foulées se déplacent lentement sur le causse suivant les chemins des bergers et moutons disparus, à la recherche de traces des lointains ancêtres qui se sont assemblés ici autrefois pour je ne sais quel rite que je me plais à imaginer en rêvant.
Les menhirs se dressent devant moi tels les guerriers d’une armée au garde à vous. Le plus grand d’entre eux est sans doute le chef tant son attitude domine l’ensemble de la vingtaine de pierres élevées autour du cercle du Cromlech. Son port altier fait penser à un animal dressé sur ses pattes arrière prêt à l’attaque. Soudain, il s’anime et lance un cri guttural aussitôt repris par une vingtaine de gorges hurlantes. L’air vibre et une bande de vautours effrayés s’écarte dans un battement d’ailes. C’est alors que j’assiste à une ronde effrayante soutenue par le rythme endiablé des rondins frappés par des mains invisibles. Le sol s’ébranle des dizaines de talons maintenant la cadence, les bras relevés au-dessus de la tête, les corps se désarticulent, se contorsionnent et la ronde devient un énorme serpent qui ondule, se déploie, se replie fauchant les herbes sur son passage. Leurs corps miment une course effrénée à la poursuite d’un gibier inconnu ; est-ce un bison au large front, un léopard tacheté ou le terrible lion des cavernes ?
Soudain, sur un signe du chef, la ronde s’arrête, s’immobilise, figée dans l’attitude de ce moment hors du temps…
Il ne reste sur la lande que des blocs de dolomie recouverts de lichen…
Paraît-il que les Cromlechs du Causse de Blandas s’animent ainsi certaines nuits de pleine lune et que seuls les aventuriers de l’écriture gravent ces instants dans leur mémoire.
Thérèse V., Blandas, Lire et écrire le Causse, 19 août 2019
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